Drôles d’amis sur Facebook

Quand l’avocat-juge est menacé de récusation


De l’amitié par réseaux sociaux.


Jean-Louis Lamideslois
15 Janvier 2017 10:01

Amis sur Facebook.
Un avocat pénaliste et amateur d’art a été poursuivi devant le Conseil de l’Ordre des Avocats près la Cour d’Appel de Paris.
 
Il a soulevé le manque d’impartialité de certains de ses juges, c’est à dire de quelques un de ses confrères qui siégeaient dans la formation disciplinaire appelée à statuer sur son cas. Ils affichent leur amitié sur un réseau social.
 
Une requête en récusation des avocats-juges connectés est déposée.
 
Un La Fontaine du XXIe Siècle aurait écrit « Voyez, voyez comme je suis (mal)traité. Ceux-là ont partie liée. Amis par Facebook, ils vont maintenant me juger. Je les ai démasqués. »
 
L’article 341 du Code de procédure civile énonce :
« La récusation d'un juge n'est admise que pour les causes déterminées par la loi.
(...) sauf dispositions particulières à certaines juridictions la récusation d'un juge peut être demandée :
8° S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties. »

 
La Cour de cassation rejette la requête au motif que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la pertinence des causes de récusation alléguées que la cour d’appel a retenu que le terme d’ « ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et que l’existence de contacts entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession. » (1)
 
Le Juge l’a dit, un « ami » de réseau social n’est pas, au sens juridique du terme, un ami.
 
Pourtant d’autres magistrats d’une autre Chambre de la Cour de Cassation ont considéré que les liens via Facebook constituent une communauté d’intérêt. (2)
 
A la lecture de l’arrêt du 5 janvier dernier, l’avocat poursuivi a-t-il murmuré un texte de Milosz, en songeant aux avocats qui le jugent et en imitant la voix remarquable de l’un d’entre eux :
« Je suis l'ami des vieilles fenêtres hypocrites, le confident des portes hostiles et verrouillées, le complice des caves où quelqu'un descendit jadis qui n'est jamais remonté. » (3)
 
Mais à la lecture de l’arrêt doit-on conclure qu’un ami via Facebook est un ami de pacotille ?
 
S’il s’était agi d’un « frère » au sens du partage de valeurs et non d’un lien de sang, la réponse de la Cour de cassation aurait-elle été la même ? Sans doute.
 
L’affaire est toujours en cours et en Cour. L’avocat poursuivi sera-t-il blanchi des accusations ? Il encourt suspension ou radiation. C’est l’enjeu du procès. Il se débat pour ne pas faire l’objet d’un « petit meurtre entre amis ».
 
En tout cas, Chamfort, sous la Révolution, relève sans illusion, c’est sûr :
« Vous avez trois sortes d'amis : vos amis qui vous aiment ; vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent. » (4)
 
 
Jean-Louis Lamideslois.
 
 
(1) Cour de Cassation - 2e chambre civile - Arrêt n° 1 du 5 janvier 2017 - n° 16-12.394.
(2) Cour de Cassation - 1ère chambre civile - Arrêt du 10 avril 2013 - n° 11-19530.
(3) O-V. Milosz, L'Amoureuse initiation, 1910, p. 225.
(4) S. Chamfort, Caractères et anecdotes, 1794, p. 147.



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