La première Chambre du Pôle 6 de la Cour d'appel de Paris a rendu un arrêt de relaxe générale le 6 septembre 2016 au bénéfice de Maeva Salmon, Déléguée de la Polynésie française à Paris de janvier 2007 à juillet 2013. Les perdants n'ont pas formé de pourvoi en cassation et l'arrêt est désormais définitif.
De quoi s'agit-il ? Maeva Salmon était poursuivie pour harcèlement moral par 4 employés de la Délégation de la Polynésie française à Paris située dans le 5e arrondissement. Relaxée dans un dossier sur quatre, elle a fait appel, tout comme les 3 vainqueurs et 1 perdante en première instance. L'un d'eux demandait à la Cour le doublement du montant de ses dommages et intérêts.
Mais la Cour d'appel de Paris ne reprend pas tous les arguments des juges en première instance. Les magistrats, expérimentés en matière de harcèlement moral, sachant parfaitement faire la distinction entre un vrai et un faux harcèlement moral, revoient intégralement le dossier et une véritable instruction a lieu lors de l'audience.
Paris Tribune a rencontré Maître François Jacquot, l'avocat de Maeva Salmon. Sa victoire représente une décision importante en matière de harcèlement moral car les relaxes de cette nature, après condamnation, sont rares. Elles le sont d'autant plus lorsqu'elles reconnaissent, comme en l'espèce, que la principale partie civile a mené "une véritable entreprise de déstabilisation" de la prévenue.
Un fond politique
Paris Tribune : Maître Jacquot, quelle est la particularité de ce dossier ?
Maître François Jacquot : La particularité, c'est que c'est un dossier politique. Il y a un fond politique incontournable avec des clans. C'est ce qui caractérise ce dossier par rapport à n'importe quel autre dossier de harcèlement moral. Ce n'est pas un dossier de harcèlement moral typique. Il est totalement atypique en réalité, et je pense que c'est ce qui est apparu à l'audience. La Délégation de la Polynésie française est un système particulier, c'est une représentation de la Polynésie française mais dont l'origine est liée au clan politique et les personnes qui sont employées dans cette délégation sont nommées par des clans politiques. Ce sont des emplois cabinet. C'est dans ce contexte que ma cliente est arrivée à la tête de la Délégation. Le rapport de la Chambre territoriale des comptes dénonce bien, expose bien ces tensions à l'intérieur de la Délégation du fait de l'origine des clans, des nominations politiques, des nominations de cabinet. Vous avez des gens qui sont d'un clan, des gens qui sont d'un autre et en fonction du président qui est élu, cela peut créer des tensions. Ce fort arrière-plan a marqué toute cette affaire.
Des enquêtes sans nuance
En appel, au bout de 6 heures d'audience le 24 mai 2016, l'Avocat général requiert la relaxe générale.
Une apparence de harcèlement moral
Paris Tribune : Au départ, on pense que le dossier de harcèlement est plié. Et vous avez découvert que ça pouvait ne pas l'être.
Maître François Jacquot : Dans le dossier de harcèlement typique, les salariés ont souffert véritablement des pressions, des humiliations, de la placardisation, des comportements typiques narcissiques du chef d'entreprise. Là, on rentre dans le dossier et on découvre quelque chose qui a l'apparence du harcèlement moral tel que les parties civiles le découvrent, mais quand on commence à creuser la chose, on s'aperçoit que cela n'a strictement rien à voir avec un délit véritable de harcèlement moral.
Et pour vous citer un exemple, le tribunal correctionnel a prononcé une relaxe pour le cas de Madame Tang en reconnaissant que son emploi avait été imposé à ma cliente par le Président. C'est-à-dire qu'elle n'avait pas les qualifications mais on lui a imposé ce poste pour lequel elle n'avait pas manifestement les compétences. Et là, il n'y avait pas de harcèlement ! Elle n'était pas à la hauteur du poste et donc elle pouvait peut-être avoir un ressenti par rapport à ça mais ce n'était pas des agissements d'humiliation de ma cliente. Il y avait un contexte d'imposer un poste politiquement parlant à quelqu'un qui normalement n'aurait pas dû l'avoir et donc ça ne s'est pas très bien passé mais on n'est pas dans des agissements positifs de ma cliente à l'encontre de cette dame. C'est-à-dire qu'elle n'est pas faite pour le poste.
Paris Tribune : Elle a été relaxée par le Tribunal correctionnel et Madame Tang a fait appel. Et là, à nouveau, l'Avocat général a requis la relaxe.
Maître François Jacquot : L'Avocat général a requis la relaxe notamment pour le cas de Madame Tang effectivement. Pour ma part, j'ai sollicité une relaxe générale pour Madame Tang et pour les autres parties civiles. Il faut savoir que cette Délégation c'était à l'origine plus de 30 personnes et là, on a 4 personnes ; en fait, on a même 2 groupes dans les parties civiles.
Vous avez la personne centrale, Monsieur Hélias, qui est à l'origine, à mon avis, de l'affaire ; Madame Tang qui occupe actuellement le poste de Numéro Un ; et puis les femmes de ménage qui est une affaire tout-à-fait distincte. Ce ne sont pas les mêmes faits, ce ne sont pas les mêmes allégations. Je pense que devant la Cour, l'on a bien compris que les faits, notamment relatifs aux personnes qui faisaient le ménage, se sont totalement effondrés.
Paris Tribune : L'audience a duré plusieurs heures, 6 heures, 5 heures !
Maître François Jacquot : L'audience a duré effectivement toute la journée. Ce dossier a retenu toute l'audience à lui tout seul et il le méritait puisqu'il fallait décortiquer des allégations qui étaient nombreuses, il y avait quand même 4 parties civiles, et la Cour a pris le soin de faire une instruction d'audience qui a duré 3 heures avant même les réquisitions. Il y a eu un soin particulier, les gens ont été interrogés longuement, ma cliente a pu répondre à chaque point, etc..., on a fait une véritable instruction d'audience. Il faut se féliciter que les choses aient été faites comme cela, avec, je pense, plus d'attention et de soin que devant le Tribunal.
Scènes d'audience
Considérant
"(...) Il apparaît qu'aucun fait précis et circonstancié n'a pu être établi à l'encontre de la prévenue (...) et Marc Hélias, en charge d'une mission de valorisation de la Polynésie française, a accompagné son choix de couvrir les commandes des membres du gouvernement polynésien en métropole d'une opposition ouverte et radicale aux directives de la déléguée générale dont il était le second, allant même jusqu'à user de ses fonctions pour mener contre elle une véritable entreprise de déstabilisation".
Cour d'appel de Paris, 6 septembre 2016, page 13.
Jurisprudence
Paris Tribune : Est-ce que cette affaire va faire jurisprudence ?
Maître François Jacquot : Oui, je pense. La Cour a bien vu qu'il ne s'agissait justement pas d'un dossier typique de harcèlement comme on s'y attendait. Dans les dossiers de harcèlement, il y a de véritables victimes, des gens qui ont vraiment été pressurisés, etc... Là, on a tout de suite vu que les faits étaient vagues, très généraux. Pendant l'audience, on entendait des remarques mais c'était des généralités... 'pouvez-vous préciser les faits ?' 'que s'est-il passé exactement ?' On avait du mal à cerner les agissements. Et donc, je pense que ce dossier peut faire réfléchir, effectivement, de la manière dont le harcèlement peut être détourné de sa finalité.
Paris Tribune : Ce serait une contribution de la Polynésie au droit !
Maître François Jacquot : Tant mieux. Je ne connaissais pas la Polynésie particulièrement. J'ai découvert ce monde, quand j'ai découvert ce dossier j'ai découvert la Polynésie, son système politique, ses particularismes, mais je pense que la Polynésie peut évoluer positivement. Et si ça peut faire réfléchir, en tout cas pour le harcèlement moral, tant mieux, tant mieux !
Apport au débat public
Paris Tribune : Qu'est-ce que cette affaire apporte au débat public ?
Maître François Jacquot : En premier lieu, je pense que le harcèlement moral est un délit très subjectif. Il faut faire très attention avec ce genre de délit. Effectivement, quand le harcèlement moral est qualifié, c'est-à-dire quand il y a de véritables humiliations, de véritables placardisations, il est normal que les chefs d'entreprise ou les gens qui exercent une position hiérarchique soient traduits devant les tribunaux correctionnels.
Mais on peut utiliser parfois ce type de délit à d'autres finalités et c'est là que ça devient dangereux. C'est là que cela peut devenir très lourd pour les chefs d'entreprise ou pour les gens comme ma cliente, qui était un chef de Délégation, qui peuvent subir des accusations, qui parfois sont... On se demande d'où elles viennent !
Le sentiment d'avoir été harcelé ne signifie pas avoir été harcelé
Analyse
Paris Tribune : On peut être de mauvaise humeur, on peut être caractériel...
Maître François Jacquot : La mauvaise humeur, jusqu'à preuve du contraire, ça ne caractérise quand même pas un harcèlement moral sinon les tribunaux ne désempliraient plus. Il faut quand même faire la part des choses entre l'humiliation et une petite saute d'humeur. Les sautes d'humeur, il peut y en avoir dans les deux sens d'ailleurs. Et dans ce dossier, croyez-moi, on a vu des choses et des attitudes et des comportements de personnels qui étaient assez hallucinant, en terme de mots employés... il y avait des frictions, il y avait des tensions et pas dans le sens où on le pense... souvent en sens inverse ! Ma cliente était souvent prise à partie pendant les réunions et d'une manière assez agressive. Ce n'est pas un dossier binaire. Il faut bien regarder ce qui s'est passé, le comportement à son égard était extrêmement agressif. Elle a aussi été traînée dans les média, on faisait des pétitions, elle était agressée en permanence, elle était bombardée littéralement ! Elle a eu une position qui n'était pas facile. Dans ce dossier, quand on regarde vraiment ce qui s'est passé, on se dit 'mais qui était l'agresseur ?' On peut se poser cette question là : qui était l'agresseur ? Elle a été durement touchée.
Alors qu'à mon sens, elle ne faisait que suivre ce qui lui était demandé par la Présidence de la Polynésie dans un contexte extrêmement difficile pour la Polynésie française : une crise sans précédent, financière, politique, il fallait redresser le pays. Il fallait, par exemple, éviter la dégradation de la note de la Polynésie française qui signifiait la faillite pour le pays ; ou alors, il fallait que la France vienne abonder au niveau financier pour la sauver... La situation était critique à l'époque. Standard & Poor's en l'occurence était l'agence qui notait la Polynésie. Pendant la période en question, il y a eu une notation et il y a eu une dégradation de la note. Le Président s'est exprimé dans les média à l'époque pour dire on n'est pas d'accord avec cette approche. Et pour la Polynésie, dans le contexte de 2008, 2009, 2010, c'était critique.
Pour une fois, il y a eu une parenthèse de la politique. On est arrivé dans un moment où même les Présidents ont compris que ce n'était plus possible de faire de la politique cabinet comme c'était le cas au bon vieux temps de Monsieur Flosse. Que ce soit chez les autonomistes ou chez les indépendantistes, c'était le cas. C'est pour ça que ma cliente a pu durer sous, je crois, 7 présidences différentes, parce qu'elle ne faisait pas de politique précisément. Elle essayait de sortir de la politique, c'était tout le problème, et de faire de la Polynésie quelque chose qui était valorisé, qui pouvait, économiquement, culturellement, mettre en valeur ce patrimoine. Et elle essayait de le mettre en valeur ; et le rôle de Marc Hélias, c'était clairement la valorisation de l'image de la Polynésie française. Et ce que nous pensons, c'est que lui n'est pas sorti de la façon dont il concevait ses fonctions, politiquement j'entends.
Ce qui m'a frappé dans ce dossier, c'est que finalement, on lui demandait de faire de la valorisation de la Polynésie et lui était plus concentré sur le suivi des missions ministérielles, le suivi des missions présidentielles. C'est faire de la politique en vérité et ça ne collait pas avec l'époque. Il fallait changer.
Transformation des emplois politiques en emplois de la fonction publique
Parmi les candidats : Madame Tang et Monsieur Hélias. Ce dernier avait d'ailleurs fait une formation dont il s'est prévalu devant la Cour d'appel - et cela semble s'être retourné contre lui. L'arrêt indique : "Maeva Salmon (avait) relevé chez celui-ci 'd'importantes carences' provoquant un déficit de rendement et noté qu'il ne satisfaisait pas aux attentes du poste de délégué adjoint (...) dès l'évaluation de février 2010 et même auparavant par courriers des 4 et 10 décembre 2009 ; qu'au reste, Marc Hélias a lui-même tiré les conséquences de ces observations en suivant des formations adaptées durant les années universitaires 2013-2014 et 2014-2015".
Suite à la loi du pays, un arrêté d'application du 3 août 2016 fixe le calendrier des entretiens d'intégration sous forme de visioconférence entre Tahiti et Paris pour les agents affectés à Paris. La dernière date était le 6 septembre 2016, jour du prononcé de la décision de la Cour d'appel de Paris.