La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée ? (Partie 6)

Paris Tribune vous livre en plusieurs articles des débats d’une haute qualité où l’Histoire a hésité sur le cours à venir de la Révolution.


Des Montagnards, députés de Paris, sont accusés de vouloir instaurer la dictature. Le 25 Septembre 1792, Robespierre et Marat sont dénoncés à la Convention.


2 Octobre 2012 11:25

L’intensité des débats ne faiblit pas. L’issue de la séance peut ruiner le camp montagnard et réduire l’influence de la commune de Paris et de ses députés au premier desquels Maximilien de Robespierre, Georges Danton, Jean-Paul Marat et Etienne Panis.

6eme partie

Tous les quatre se sont déjà exprimés. Etienne Panis quitte la tribune après avoir nié l’accusation portée par le député girondin de Marseille, Charles Barbaroux. Toutefois, son discours n’est guère convaincant. Mais les tribunes composées de révolutionnaires parisiens se font entendre et apportent leur soutien à leurs élus.

Les girondins n’ignorent rien de la situation et de la difficulté d’aller au terme de leur accusation. Ils savent qu’une partie du peuple de Paris soutient sans faille ses élus montagnards et que les forces militaires autour de l’Assemblée sont essentiellement parisiennes.

De plus, la Garde nationale est commandée par le Général Santerre, beau-frère du conventionnel Panis, le député qui vient de s’exprimer sans convaincre.

C’est le moment que choisit Jean-Paul Marat pour intervenir. Homme de plume, il possède aussi un talent oratoire. La situation est délicate. Jean-Paul Marat dont les écrits dans son journal "l’Ami du Peuple" appellent à la violence et à la dictature, prend la parole pour lui-même, pour son camp et pour ses idées. Il les défend sans état d’âme.

Il sait qu’il a beaucoup d’ennemis et que sa position extrême le place en première ligne de l’offensive girondine. Il n’hésite pas à prendre la responsabilité des ses actes et de ses écrits pour en appeler à la liberté de la presse, une conquête de la Révolution. Il incite habilement la Convention, pour détourner l’accusation, à revenir à la tâche majeure pour laquelle elle a été élue, la rédaction de la Constitution.

Il lui propose de commencer par une nouvelle rédaction des droits des citoyens. Il est à cet égard remarquable que pour les Révolutionnaires, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dont le caractère universel avait été proclamé, n’était qu’un texte à durée limitée puisqu’une nouvelle rédaction s’imposait, dès septembre 1792, trois ans après, pour la Convention.

Lorsque Jean-Paul Marat demande la parole et marche vers la tribune, de nombreux conventionnels le conspuent. C’est qu’il a pour eux une lourde responsabilité dans les menaces de mort et pressions exercées à l’encontre de députés, dans la volonté nouvelle de la commune de Paris de s’arroger tous les pouvoirs et dans les massacres du 2 au 6 septembre 1792.

(Marat demande la parole) (1)

(Violents murmures; cris : "A bas de la tribune")

Voici la suite des débats :

Lacroix : "Je demande que l’Assemblée ne prononce que lorsqu’elle aura tous les éclaircissements qui lui ont manqué jusqu’ici et je fais la motion expresse que Marat soit entendu". (2)

Marat : "Messieurs, j’ai dans cette Assemblée un grand nombre d’ennemis personnels ... "

(Ici les trois quarts de l’Assemblée se lèvent en criant : "Nous le sommes tous ! Oui, tous !")

"J’ai dans cette Assemblée un grand nombre d’ennemis personnels, je les rappelle à la pudeur; ce n’est point avec des clameurs, des menaces, des outrages que l’on prouve à un homme inculpé qu’il est coupable, ce n’est point en criant haro sur un défenseur du peuple qu’on peut lui démontrer qu’il est criminel.

Je rends grâces à la main cachée qui a jeté au milieu de vous un vain fantôme pour effrayer les hommes timides, diviser les bons citoyens, et mettre en défaveur la députation de Paris. Je rends grâces à mes persécuteurs de m’avoir fourni une occasion de vous ouvrir mon âme tout entière.

On accuse certains membres de la députation de Paris d’aspirer à la dictature, au triumvirat, au tribunat ; cette inculpation absurde ne peut trouver des partisans que parce que je fais partie de cette députations. Eh bien ! Messieurs, je dois à la justice de déclarer que mes collègues, notamment Danton et Robespierre, ont constamment repoussé toute idée de dictature, de triumvirat et de tribunat. Lorsque je la mettais en avant, j’ai même eu à rompre à ce sujet plusieurs lances avec eux.

Je crois être le premier écrivain politique et peut-être le seul en France depuis la Révolution, qui ait proposé un dictateur, un tribun militaire, des triumvirs, comme le seul moyen d’écraser les traîtres et les conspirateurs. Si cette opinion est répréhensible, je suis seul coupable ; si elle est criminelle, c’est sur ma tête seule que vous devez appeler les vengeances de la nation. Je m’offre donc moi-même comme une victime dévouée; mais avant de me condamner, daignez m’entendre.

Mes opinions sur le triumvirat et le tribunat sont consignées dans des écrits signés de moi, imprimés et colportés publiquement depuis près de trois ans; et c’est aujourd’hui qu’on entreprend de les métamorphoser en crime de lèse-nation ! ...

Eh quoi ! Des opinions avouées hautement et soumises à l’examen des lecteurs, peuvent-elles donc être regardées comme des délits ? Non, sans doute ; fussent-elles fausses, elles ne seraient jamais que de simples erreurs ; fussent-elles extravagantes, leur auteur ne passerait jamais que pour un aveugle et un insensé. C’est dans les ténèbres que se cachent les traîtres, que se trament les complots, et jamais machinateur ne prêcha sa doctrine sur les toits. J’ai soumis mes opinions à l’examen du public ; si elles sont dangereuses, c’est en les combattant par des raisons solides, et non en me vouant à l’anathème, que mes ennemis devaient les proscrire ; c’est en les réfutant, et non en levant sur ma tête le glaive de la tyrannie, qu’ils devaient en détruire la funeste influence.

Au demeurant, Messieurs, que me reprochez-vous ? Lorsque les trahisons éternelles d’une cour perfide et de ses créatures, lorsque les complots sans cesse renaissants des ennemis de la Révolution, lorsque les trames sanguinaires des suppôts du despotisme menaçaient la liberté ; lorsque les infidèles représentants du peuple, les iniques dépositaires de l’autorité, les indignes ministres des lois, conjurés avec un prince atroce, conduisaient la patrie sur les bords de l’abîme; lorsque les législateurs vendus, prostituant leur ministère auguste à faire des lois tyranniques, enchaînaient le peuple pour l’égorger ; lorsque les fonctionnaires publics n’étaient occupés qu’à favoriser les traîtres ; lorsque les magistrats couvraient de l’égide sacrée de la justice les ennemis de l’Etat, tandis qu’ils égorgeaient avec le glaive de la tyrannie les amis de la patrie, les défenseurs de la liberté ; lorsque, par les attentats concertés de ces scélérats, la patrie était prête à périr, qui de vous, Messieurs, eût osé me faire un crime d’avoir, dans les transes de mon désespoir, appelé sur leurs têtes criminelles la hache des vengeances populaires ? Qui de vous osera me faire un crime d’avoir recommandé le seul moyen de salut public qui nous fût laissé ?

Le peuple, sans obéir à ma voix, a eu le bon sens de sentir que c’était effectivement là toute sa ressource, il l’a employée plusieurs fois pour s’empêcher de périr. Ce sont les scènes sanglantes des 14 juillet, 6 octobre, 10 août, 2 septembre qui ont sauvé la France : que n’ont-elles été dirigées par des mains habiles !

Redoutant moi-même ces terribles mouvements d’une multitude effrénée, désolé de voir la hache frapper indistinctement tous les coupables et confondre les petits délinquants avec les grands scélérats, désirant la diriger sur la seule tête des principaux contre-révolutionnaires, j’ai cherché à soumettre ces mouvements terribles et désordonnés à la sagesse d’un chef, à la fois patriote intègre et homme d’Etat, qui aurait recherché et mis à mort les principaux conspirateurs, pour couper d’un seul coup le fil à toutes les machinations, épargner le sang, ramener le calme et cimenter la liberté.

Suivez mes écrits, c’est dans cette vue que j’ai demandé que le peuple se nommât un dictateur, un tribun militaire. Pour prévenir les abus et les dangers d’une pareille mission, j’ai recommandé qu’elle fut restreinte au pouvoir de punir capitalement les chefs des machinateurs, que la durée en fût limitée à quelques jours, et que le citoyen jugé digne de la remplir fût en quelque sorte enchaîné par le pied à un boulet, afin qu’il fût lui-même à chaque instant, sous la main du peuple, au cas qu’il vînt à oublier ses devoirs.

Si cette mesure salutaire eût été employée immédiatement après la prise de la Bastille, que de désastres eussent été prévenus ! Si, comme je le demandais, on eût alors fait tomber cinq cents têtes traîtresses, cent mille patriotes n’auraient pas été égorgés, cent milles patriotes ne seraient pas menacés de l’être, l’Etat n’eût pas été si longtemps déchiré par des factions, bouleversé par des séditions, livré aux troubles, à l’anarchie, à la misère, à la famine, à la guerre civile; il n’eût pas été menacé de devenir la proie des hordes barbares de tant de despotes ligués !

Les penseurs, Messieurs, sentiront toute la justice de cette mesure. Si sur cet article vous n’êtes pas à ma hauteur, tant pis pour vous ! ... Des flots de sang vous feront un jour sentir votre erreur et vous déplorerez avec amertume votre fatale sécurité.

Souffrez que je vous dise un mot de moi: on a eu l’impudeur de m’accuser de vues ambitieuses. Je ne m’abaisserai pas à repousser cette ridicule inculpation. Que ceux qui seraient encore tentés de le faire, jettent les yeux sur ma conduite publique; qu’ils jettent mêmes les yeux sur ma personne ! Si j’avais voulu mettre un prix à mon silence, je serais gorgé d’or et je suis dans la pauvreté; je n’ai jamais demandé ni pensions, ni emplois; pour mieux servir la patrie, j’ai bravé la misère, les dangers, les souffrances; j’ai été poursuivi chaque jour par des légions d’assassins; pendant trois ans, je me suis condamné à une vie souterraine, et j’ai plaidé la cause de la liberté, ma tête sur le billot... Parlez, lâches calomniateurs, est-ce là la conduite d’un ambitieux !..."

(Applaudissements)

"Cessons, Messieurs, de consumer un temps précieux en vaines altercations, en débats scandaleux. Craignons de donner de la consistance à des bruits absurdes, adroitement répandus par les ennemis de la patrie, dans la vue de retarder le grand oeuvre de la Constitution; et, pour les mettre eux-mêmes à une épreuve pénible, souffrez que je vous presse de consacrer incessamment la déclaration des droits, de poser les bases sacrées d’un gouvernement juste et libre, qui doit faire les destinées de la France, cimenter la liberté et assurer le bonheur du peuple, pour lequel à chaque instant je suis prêt à donner ma vie..."

(Applaudissements prolongés à gauche et dans les tribunes)

Vergniaud : "S’il est un malheur pour un représentant du peuple, c’est, pour mon coeur, celui d’être obligé de remplacer à cette tribune un homme chargé de décrets de prise-de-corps qu’il n’a pas purgés..." (3)

(Murmures)

Marat : "Je m’en fais gloire !"

Chabot : "Sont-ce les décrets du Châtelet dont on parle ?" (4) (5)

Tallien : "Sont-ce ceux dont il a été honoré pour avoir terrassé Lafayette ?" (6)

(Applaudissements)

Vergniaud : "C’est le malheur d’être obligé de remplacer un homme contre lequel il a été rendu un décret d’accusation, et qui a elevé sa tête audacieuse au-dessus des lois; un homme enfin tout dégouttant de calomnie, de fiel et de sang. Je n’ai jamais calomnié personne, quoique j’ai accusé quelquefois..."

(De vifs murmures interrompent l’orateur)

Ducos : "Si l’on a fait l’effort d’entendre Marat, je demande qu’on entende Vergniaud". (7)

Lacroix : "Je demande que le président rappelle à l’ordre les tribunes qui se permettent des murmures. Elles ont trop longtemps tyrannisé l’Assemblée".

(Le président rappelle à l’ordre les membres et les spectateurs qui interrompent)


A suivre sur Paris Tribune...


(1) Jean-Paul Marat est député de Paris, montagnard, créateur du journal « l’Ami du Peuple », hanté par l’idée d’exécution des traîtres.

(2) Jean-Michel Lacroix est député de Haute-Vienne. Il appartient à la plaine ou au marais, mais il a une proximité d’idées avec les girondins.

(3) Pierre, Victurnien, Vergniaud est député de la gironde. C’est l’un des chefs des girondins.

(4) Les décrets de prise de corps permettent l’arrestation et l’incarcération d’accusés.

(5) François Chabot est député de l’ Aveyron, montagnard. Il invente le mot de "sans culottes" qu’il prononce à la Convention le 21 septembre 1792 au sujet du lieu où doit loger le Président de la Convention : "Vous ne pouvez rechercher d'autre dignité, que de vous mêler aux sans-culottes qui composent la majorité de la nation".

(6) Jean, Lambert, Tallien est député de Seine et Oise, montagnard Il évoque la disgrâce du Général Lafayette, ancien vice président de l’Assemblée constituante, et ancien commandant de la garde nationale, entré en conflit en juin 1792 avec le club des jacobins. Destitué de son commandement de l’une des trois armées de la Révolution, il est décrété d’accusation alors qu’il a mené une tentative de fédéralisme entre plusieurs départements suite aux évènements de l’été 1792 à Paris.

(7) Jean-François Ducos est député de la Gironde, girondin.


Sources

"Journal officiel de la Convention Nationale - La Convention Nationale (1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre 1792, Constitution de la grande assemblée révolutionnaire, jusqu'au 21 janvier 1793, exécution du roi Louis XVI, seule édition authentique et inaltérée contenant les portraits des principaux conventionnels et des autres personnages connus de cette sublime époque", auteur non mentionné, Librairie B. Simon & Cie, Paris, sans date, pages 24 à 37.

http://miroir.mrugala.net/Arisitum/textes/revol/rob1.html

http://www.royet.org/nea1789-1794/archives/journal_debats/an/1792/convention_1792_09_25.html

http://jpmarat.de/francais/bougeart/index2.html Marat L'Ami du Peuple par Alfred Bougeart

Léon Thiessé - Les Débats de la Convention, Paris, 1828, - 5 vol.

Assemblée Nationale - http://www.assemblee-nationale.fr/

Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (A.Robert et G.Cougny)

Histoire politique et constitutionnelle de la France Charles Zorgbibe- Editions Ellipses - Juillet 2002.



Articles :
- 10 avril 2013 : La Révolution s’emballe il y a 220 ans.

- 7 novembre 2012 : Le procès de Louis XVI sur Paris Tribune.
- 3 décembre 2012 : Le Procès du Roi, il y a 220 ans.
- 8 décembre 2012 : Louis XVI peu avant le début de son procès.
- 10 décembre 2012 : Rapport Lindet : historique de la conduite du Roi Louis XVI avant son procès.

- Partie 1 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 2 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 3 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 4 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 5 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 6 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 7 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 8 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 9 - dernière partie : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?

- 10 août 2012 : 220e anniversaire de la chute de la Monarchie.
- 22 septembre 2012 : 220e anniversaire de la naissance de la République.
- 24 septembre 2012 : « La République est une et indivisible » depuis 220 ans

- 11 juin 2011 : Une guillotine à l’Hôtel Drouot.
- 22 juin 2011 : Le Maire de Paris ne connaît pas la rue Thiers.
- 5 octobre 2011 : Qui convoite la place au métro Convention ?



Journaliste, coordinateur des articles sur l'histoire, culture et politique, ventes aux enchères. En savoir plus sur cet auteur
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