Marat, Robespierre et Danton et d'autres sont accusés de représenter un danger pour la liberté et de dévoyer la Révolution. Jean-Paul Marat sent le vent tourner.
Il demande la parole pour répliquer et de nombreux conventionnels le conspuent lorsqu'il marche vers la tribune. C’est qu’il a pour eux une lourde responsabilité dans les menaces de mort et pressions exercées à l’encontre de députés, dans la volonté nouvelle de la commune de Paris de s’arroger tous les pouvoirs et dans les massacres du 2 au 6 septembre 1792.
Il demande la parole pour répliquer et de nombreux conventionnels le conspuent lorsqu'il marche vers la tribune. C’est qu’il a pour eux une lourde responsabilité dans les menaces de mort et pressions exercées à l’encontre de députés, dans la volonté nouvelle de la commune de Paris de s’arroger tous les pouvoirs et dans les massacres du 2 au 6 septembre 1792.
9ème et dernière partie
Jean-Paul Marat sera-t-il décrété d’accusation ? (1)
Est-il sur le point d'être arrêté ?
Sera-t-il transféré à la prison de l’abbaye à Saint Germain des Prés ?
Des cris fusent depuis les bancs de la Convention.
Marat joue gros. Acculé, il se défend avec ardeur. Alors que des députés girondins invoquent ses écrits publiés dans son journal "l’Ami du peuple", Marat veut lire un article imprimé avant la séance dans un autre journal, qu’il publie aussi, où il appelle à l’union des amis de la Patrie et où il se déclare prêt à suivre les meilleures voies pour la défense du peuple, sans appeler le glaive des vengeances populaires.
Suprême habileté, Marat va utiliser l’émotion pour sa défense par la menace de son suicide à la tribune, pistolet à la main, le canon sur le front.
Et le député Tallien en profite pour clore ce débat et préserver ses amis montagnards.
La plupart des girondins qui sont intervenus ce 25 septembre 1792 le paieront de leur vie dans un peu plus d’un an. Mais ce sont d’autres débats passionnants et la poursuite de l’Histoire.
Est-il sur le point d'être arrêté ?
Sera-t-il transféré à la prison de l’abbaye à Saint Germain des Prés ?
Des cris fusent depuis les bancs de la Convention.
Marat joue gros. Acculé, il se défend avec ardeur. Alors que des députés girondins invoquent ses écrits publiés dans son journal "l’Ami du peuple", Marat veut lire un article imprimé avant la séance dans un autre journal, qu’il publie aussi, où il appelle à l’union des amis de la Patrie et où il se déclare prêt à suivre les meilleures voies pour la défense du peuple, sans appeler le glaive des vengeances populaires.
Suprême habileté, Marat va utiliser l’émotion pour sa défense par la menace de son suicide à la tribune, pistolet à la main, le canon sur le front.
Et le député Tallien en profite pour clore ce débat et préserver ses amis montagnards.
La plupart des girondins qui sont intervenus ce 25 septembre 1792 le paieront de leur vie dans un peu plus d’un an. Mais ce sont d’autres débats passionnants et la poursuite de l’Histoire.
Voici la suite et fin des débats passionnants de ce 25 septembre 1792 qui voit la proclamation de la République, une et indivisible
Marat : "Mais ce qu’on ne vous a pas dit, c’est que, dès que la Convention a été constituée, j’ai conçu en elle un meilleur espoir ; ce qu’on ne vous a pas lu, c’est le jugement que j’en porte dans le numéro du Journal de la République Française, feuille que je publie actuellement.
Permettez-moi de vous lire à mon tour cet article pour ma défense, car l’on ne pourra dire que je viens de le rédiger à l’instant pour les besoins de ma cause ; vous y verrez l’hommage que je rends aux premiers travaux de l’Assemblée conventionnelle... "
( - "Lisez ! Lisez !"
- "Non ! Non ! Le décret d’accusation ! A l’Abbaye !" )
( L’Assemblée ordonne que cet écrit soit lu par un Secrétaire )
"Nouvelle marche de l’auteur :
Depuis l’instant où je me suis dévoué pour la patrie, je n’ai cessé d’être abreuvé de dégoûts et d’amertume : mon plus cruel chagrin n’était pas d’être en butte aux assassins, c’était de voir une foule de patriotes sincères, mais crédules, se laisser aller aux perfides insinuations, aux atroces calomnies des ennemis de la liberté sur la pureté de mes intentions, et s’opposer eux-mêmes au bien que je pouvais faire. Longtemps mes calomniateurs m’ont représenté comme un traître qui vendait sa plume à tous les partis : des milliers d’écrits répandus dans la capitale et les départements propageaient ces impostures ; elles se sont évanouies en me voyant attaquer également tous les partis anti-populaires ; car le peuple dont j’ai toujours défendu la cause aux dépens de ma vie, ne soudoie jamais ses défenseurs.
Cette arme meurtrière, je l’ai brisée dans les mains de mes calomniateurs ; mais ils n’ont cessé de m’accuser de vénalité que pour m’accuser de fureur ; les lâches, les aveugles, les fripons et les traîtres se sont réunis pour me peindre comme un fou atrabilaire ; invinctive dont les charlatans encyclopédistes gratifiaient l’auteur du Contrat social. Trois cents prédictions sur les principaux événements de la révolution, justifiées par le fait, m’ont vengé de ces injures ; les défaites de Tournay, de Mons, de Courtrai ; le massacre de Dillon de Sémonville, l’émigration de presque tous les officiers de ligne, les tentatives d’empoisonner le camp de Soissons ; les destitutions successives de Lafayette, de Luckner, de Montesquiou, ont mis le sceau à mes tristes présages, et le fou patriote a passé pour prophète.
Que restait-il à faire aux ennemis de la patrie pour m’ôter la confiance de mes concitoyens ? Me prêter des vues ambitieuses en dénaturant mes opinions sur la nécessité d’un tribun militaire, d’un dictateur ou d’un triumvirat, pour punir les machinations projetées par le Corps législatif, le gouvernement et les tribunaux jusqu’ici leurs complices ; ou plutôt, comme le prête-nom d’une faction ambitieuse, et sous cette dénomination on désigne les patriotes les plus fervents de la république. Imputations absurdes ! Ces opinions me sont personnelles, et c’est un reproche que j’ai souvent fait aux plus chauds patriotes d’avoir repoussé cette mesure salutaire, dont tout homme instruit de l’histoire des révolutions sent l’indispensable nécessité, mesure qui pourrait être prise sans inconvénients, en limitant sa durée à quelques jours et en bornant la mission des préposés à la punition prévôtale des machinateurs ; car personne au monde n’est plus révolté que moi de l’établissement d’une autorité arbitraire, confiée aux mains, mêmes les plus pures, pour un terme de quelque durée.
Au demeurant, c’est par civisme, par philanthropie, que j’ai cru devoir conseiller cette mesure sévère, commandée par le salut du pays. Que n’a-t-elle été prise à temps ! Nos campagnes ne seraient pas remplies de veuves et d’orphelins réduits au désespoir ; la disette et la misère n’auraient pas désolé l’Etat pendant quatre année consécutives : il ne serait ni bouleversé par les factions, ni déchiré par les hordes barbares d’ennemis, après l’avoir été si longtemps par ses enfants dénaturés.
Quant aux vues ambitieuses qu’on me prête, voici mon unique réponse : je ne veux ni emplois, ni pensions. Si j’ai accepté la place de député à la Convention nationale, c’est dans l’espoir de servir plus efficacement la patrie, même sans paraître. Ma seule ambition est de concourir à sauver le peuple : qu’il soit libre et heureux, tous mes voeux seront remplis.
Le despotisme est détruit, la royauté est abolie ; mais leurs suppôts ne sont pas abattus : les intrigants et les ambitieux, les traîtres, les machinateurs sont encore à tramer contre la patrie, la liberté a encore des nuées d’ennemis. Pour la faire triompher, il faut découvrir leurs projets, dévoiler leurs complots, déjouer leurs intrigues ; il faut les démasquer et les réprimer dans nos camps, dans nos sections, nos municipalités, nos directoires, nos tribunaux, dans la Convention nationale elle-même. Comment y parvenir, si les amis de la patrie ne s’entendent, s’ils ne réunissent leurs efforts !
Certains pensent que l’on peut triompher des malveillants sans s’en défaire. Eh bien soit : je suis prêt à prendre les voies jugées efficaces par les défenseurs du peuple ; je dois marcher avec eux. Amour sacré de la patrie ! Je t’ai consacré mes veilles, mon repos, mes jours, toutes les facultés de mon être, je t’immole aujourd’hui mes préventions, mon ressentiment, mes haines. A la vue des attentats des ennemis de la patrie, à la vue de leurs outrages contre ses enfants, j’étoufferai, s’il se peut, dans mon sein, les mouvements d’indignation qui s’y élèveront ; j’entendrai, sans me livrer à la fureur, le récit du massacre des vieillards et des enfants égorgés par de lâches assassins ; je serai témoin des menées des traîtres à la patrie, sans appeler sur leurs têtes criminelles le glaive des vengeances populaires. Divinité des âmes pures, prête-moi des forces pour accomplir mon voeu ! Jamais l’amour-propre ou l’obstination ne s’opposera chez moi aux mesures que prescrit la sagesse; fais-moi triompher des impulsions du sentiment; et si les transports de l’indignation doivent un jour me jeter hors des bornes et compromettre le salut public, que j’expire de douleur avant de commettre cette faute !"
(Cette lecture est accueillie par des applaudissements prolongés de la gauche et des tribunes)
Marat : "Je me flatte, Messieurs, qu’après la lecture de cet article, que nos adversaires avaient eu soin de vous tenir caché, je me flatte, dis-je, j’ose croire qu’il ne vous reste pas le moindre doute sur la pureté de mes intentions. On vous a lu une adresse au bas de laquelle est ma signature et quelques lambeaux d’un écrit de moi, le tout remontant à plus de dix jours. Vous connaissez à présent, d’autre part, ce que j’ai publié ce matin même... Et que l’on ne m’accuse pas de contradictions...
Un journaliste écrit, forcément, suivant les impressions des événements du jour ; or, dans la période terrible que nous traversons, les événements se succèdent avec une rapidité vertigineuse, et nos impressions d’écrivains en sont le reflet, naturellement mobile comme eux... L’homme qui tient une plume peut écrire tantôt avec calme, tantôt avec colère, sans pour cela se contredire ; car, pour ce qui me concerne, je n’ai jamais varié dans mes idées. Mon article de ce matin vous indique l’état de mon esprit ; mais il ne faudrait point en conclure que je désavoue aucun de mes écrits précédent. Vergniaud a sommé les signataires de l’adresse de la Commune de Paris de désavouer leurs signatures. Ce désaveu, je le refuse..."
(Mouvement)
"... cette rétractation, je ne puis la donner ; car les principes exposés dans l’adresse en question sont les miens, et un homme d’honneur, même quand sa vie est en danger, ne renie pas ses principes !"
(Applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes)
"Me demander cette rétractation, mais c’est me demander que je ne voie pas ce que je vois, que je ne sente pas ce que je sens ! Or, sachez-le, Messieurs, il n’est pas une puissance sous le soleil qui soit capable d’opérer en moi ce reversement d’idées. Je puis répondre de la pureté de mon coeur, mais je ne puis changer mes pensées ; elles sont ce que la nature des choses me suggère".
(Approbation)
"Dans ce moment, permettez-moi de vous rappeler à d’autres considérations. Voyez vous-mêmes comme vos impressions sont mobiles. Ceux de mes ennemis qui sont parmi vous se sont livrés à mon égard à de véritables accès de fureur, et le plus grand nombre d’entre vous ont supporté ces manifestations intolérantes. J’ai été obligé de rappeler la majorité de cette assemblée au respect qu’elle se doit à elle-même ; et vous avez été sur le point de me juger sous l’influence d’attaques injustifiables, de calomnies atroces".
Quoi ! Si je n’avais pas eu sous la main mon article d’aujourd’hui, si mon journal n’avait pu paraître ce matin, si mon imprimeur m’avait manqué sa parole, - Eh ! Grands dieux ! Un acte de négligence aurait bien pu se produire, - vous m’auriez donc livré au glaive de la tyrannie ! ...
Considérez combien on peut commettre d’injustices, lorsque pour décider sur un homme, on écoute ceux qui sont ses ennemis avérés... Mais, Messieurs, si par suite d’une fatalité quelconque je n’avais pu fournir ici le témoignage éclatant de mon patriotisme, si, égarés par les impudents que je vous ai désignés, vous m’aviez condamné sans m’entendre, oh ! Sachez-le, je n’aurais point péri en lâche...
Oui, oui, je le jure, si le décret qu’on vous demandait eût été lancé, je me serai soustrait à la rage de mes persécuteurs en me brûlant la cervelle au pied même de cette tribune..."
(En disant ces mots, Marat s’applique un pistolet sur le front.
Profonde émotion)
"On vous a demandé un décret contre ceux qui proposeront la dictature, le tribunat ou le triumvirat ; c’est une fausse démarche dans laquelle on voudrait vous engager. Cette ressource de salut public dépend, en dernière analyse, du peuple seul. S’il la juge jamais nécessaire, il la prendra malgré tous les décrets que n’importe quelle assemblée aura pu édicter, comme il a pris des mesures plus terribles encore malgré les décrets de l’Assemblée Constituante ; en votant une loi contre les droits souverains du peuple, vous ne ferez que compromettre sans fruit comme sans besoin votre autorité.
Je conclus donc en vous demandant de passer purement et simplement à l’ordre du jour".
(Nombreux applaudissements)
Tallien : "Oui, l’ordre du jour doit mettre fin à ses scandaleuses discussions. Décrétons le salut de la République, et laissons-là les individus !" (2)
(Applaudissements répétés)
La Convention passe à l’ordre du jour.
Marat et les montagnards sont sauvés. Les girondins n’ont pu aller au terme de leur attaque mais le voulaient-ils vraiment et en avaient-ils les moyens ? Ont-ils pensé que cette mise en garde appuyée serait suffisante pour que la dictature soit évitée ?
En tout état de cause, les débats toujours animés redeviennent sereins. Et c’est au cours de la même séance qui se poursuit selon l’ordre du jour, que la Convention Nationale adopte la disposition célèbre : "la République est une est indivisible".
Pourtant, alors que les membres de la Convention discutent de l’indivisibilité de la République, une ombre passe. La voient-ils ? C’est l’ombre de la guillotine. Le rasoir républicain divise les corps, la tête tombe et le reste est désarticulé. Nombre de ces conventionnels, à défaut de voir son ombre, la découvriront bien réelle, à l’œuvre sur leurs ordres et finalement à l’œuvre sur eux.
(1) Jean-Paul Marat est député de Paris, montagnard, créateur du journal « l’Ami du Peuple », hanté par l’idée d’exécution des traîtres.
(2) Jean, Lambert Tallien est député de Seine et Oise, montagnard.
Permettez-moi de vous lire à mon tour cet article pour ma défense, car l’on ne pourra dire que je viens de le rédiger à l’instant pour les besoins de ma cause ; vous y verrez l’hommage que je rends aux premiers travaux de l’Assemblée conventionnelle... "
( - "Lisez ! Lisez !"
- "Non ! Non ! Le décret d’accusation ! A l’Abbaye !" )
( L’Assemblée ordonne que cet écrit soit lu par un Secrétaire )
"Nouvelle marche de l’auteur :
Depuis l’instant où je me suis dévoué pour la patrie, je n’ai cessé d’être abreuvé de dégoûts et d’amertume : mon plus cruel chagrin n’était pas d’être en butte aux assassins, c’était de voir une foule de patriotes sincères, mais crédules, se laisser aller aux perfides insinuations, aux atroces calomnies des ennemis de la liberté sur la pureté de mes intentions, et s’opposer eux-mêmes au bien que je pouvais faire. Longtemps mes calomniateurs m’ont représenté comme un traître qui vendait sa plume à tous les partis : des milliers d’écrits répandus dans la capitale et les départements propageaient ces impostures ; elles se sont évanouies en me voyant attaquer également tous les partis anti-populaires ; car le peuple dont j’ai toujours défendu la cause aux dépens de ma vie, ne soudoie jamais ses défenseurs.
Cette arme meurtrière, je l’ai brisée dans les mains de mes calomniateurs ; mais ils n’ont cessé de m’accuser de vénalité que pour m’accuser de fureur ; les lâches, les aveugles, les fripons et les traîtres se sont réunis pour me peindre comme un fou atrabilaire ; invinctive dont les charlatans encyclopédistes gratifiaient l’auteur du Contrat social. Trois cents prédictions sur les principaux événements de la révolution, justifiées par le fait, m’ont vengé de ces injures ; les défaites de Tournay, de Mons, de Courtrai ; le massacre de Dillon de Sémonville, l’émigration de presque tous les officiers de ligne, les tentatives d’empoisonner le camp de Soissons ; les destitutions successives de Lafayette, de Luckner, de Montesquiou, ont mis le sceau à mes tristes présages, et le fou patriote a passé pour prophète.
Que restait-il à faire aux ennemis de la patrie pour m’ôter la confiance de mes concitoyens ? Me prêter des vues ambitieuses en dénaturant mes opinions sur la nécessité d’un tribun militaire, d’un dictateur ou d’un triumvirat, pour punir les machinations projetées par le Corps législatif, le gouvernement et les tribunaux jusqu’ici leurs complices ; ou plutôt, comme le prête-nom d’une faction ambitieuse, et sous cette dénomination on désigne les patriotes les plus fervents de la république. Imputations absurdes ! Ces opinions me sont personnelles, et c’est un reproche que j’ai souvent fait aux plus chauds patriotes d’avoir repoussé cette mesure salutaire, dont tout homme instruit de l’histoire des révolutions sent l’indispensable nécessité, mesure qui pourrait être prise sans inconvénients, en limitant sa durée à quelques jours et en bornant la mission des préposés à la punition prévôtale des machinateurs ; car personne au monde n’est plus révolté que moi de l’établissement d’une autorité arbitraire, confiée aux mains, mêmes les plus pures, pour un terme de quelque durée.
Au demeurant, c’est par civisme, par philanthropie, que j’ai cru devoir conseiller cette mesure sévère, commandée par le salut du pays. Que n’a-t-elle été prise à temps ! Nos campagnes ne seraient pas remplies de veuves et d’orphelins réduits au désespoir ; la disette et la misère n’auraient pas désolé l’Etat pendant quatre année consécutives : il ne serait ni bouleversé par les factions, ni déchiré par les hordes barbares d’ennemis, après l’avoir été si longtemps par ses enfants dénaturés.
Quant aux vues ambitieuses qu’on me prête, voici mon unique réponse : je ne veux ni emplois, ni pensions. Si j’ai accepté la place de député à la Convention nationale, c’est dans l’espoir de servir plus efficacement la patrie, même sans paraître. Ma seule ambition est de concourir à sauver le peuple : qu’il soit libre et heureux, tous mes voeux seront remplis.
Le despotisme est détruit, la royauté est abolie ; mais leurs suppôts ne sont pas abattus : les intrigants et les ambitieux, les traîtres, les machinateurs sont encore à tramer contre la patrie, la liberté a encore des nuées d’ennemis. Pour la faire triompher, il faut découvrir leurs projets, dévoiler leurs complots, déjouer leurs intrigues ; il faut les démasquer et les réprimer dans nos camps, dans nos sections, nos municipalités, nos directoires, nos tribunaux, dans la Convention nationale elle-même. Comment y parvenir, si les amis de la patrie ne s’entendent, s’ils ne réunissent leurs efforts !
Certains pensent que l’on peut triompher des malveillants sans s’en défaire. Eh bien soit : je suis prêt à prendre les voies jugées efficaces par les défenseurs du peuple ; je dois marcher avec eux. Amour sacré de la patrie ! Je t’ai consacré mes veilles, mon repos, mes jours, toutes les facultés de mon être, je t’immole aujourd’hui mes préventions, mon ressentiment, mes haines. A la vue des attentats des ennemis de la patrie, à la vue de leurs outrages contre ses enfants, j’étoufferai, s’il se peut, dans mon sein, les mouvements d’indignation qui s’y élèveront ; j’entendrai, sans me livrer à la fureur, le récit du massacre des vieillards et des enfants égorgés par de lâches assassins ; je serai témoin des menées des traîtres à la patrie, sans appeler sur leurs têtes criminelles le glaive des vengeances populaires. Divinité des âmes pures, prête-moi des forces pour accomplir mon voeu ! Jamais l’amour-propre ou l’obstination ne s’opposera chez moi aux mesures que prescrit la sagesse; fais-moi triompher des impulsions du sentiment; et si les transports de l’indignation doivent un jour me jeter hors des bornes et compromettre le salut public, que j’expire de douleur avant de commettre cette faute !"
(Cette lecture est accueillie par des applaudissements prolongés de la gauche et des tribunes)
Marat : "Je me flatte, Messieurs, qu’après la lecture de cet article, que nos adversaires avaient eu soin de vous tenir caché, je me flatte, dis-je, j’ose croire qu’il ne vous reste pas le moindre doute sur la pureté de mes intentions. On vous a lu une adresse au bas de laquelle est ma signature et quelques lambeaux d’un écrit de moi, le tout remontant à plus de dix jours. Vous connaissez à présent, d’autre part, ce que j’ai publié ce matin même... Et que l’on ne m’accuse pas de contradictions...
Un journaliste écrit, forcément, suivant les impressions des événements du jour ; or, dans la période terrible que nous traversons, les événements se succèdent avec une rapidité vertigineuse, et nos impressions d’écrivains en sont le reflet, naturellement mobile comme eux... L’homme qui tient une plume peut écrire tantôt avec calme, tantôt avec colère, sans pour cela se contredire ; car, pour ce qui me concerne, je n’ai jamais varié dans mes idées. Mon article de ce matin vous indique l’état de mon esprit ; mais il ne faudrait point en conclure que je désavoue aucun de mes écrits précédent. Vergniaud a sommé les signataires de l’adresse de la Commune de Paris de désavouer leurs signatures. Ce désaveu, je le refuse..."
(Mouvement)
"... cette rétractation, je ne puis la donner ; car les principes exposés dans l’adresse en question sont les miens, et un homme d’honneur, même quand sa vie est en danger, ne renie pas ses principes !"
(Applaudissements répétés à gauche et dans les tribunes)
"Me demander cette rétractation, mais c’est me demander que je ne voie pas ce que je vois, que je ne sente pas ce que je sens ! Or, sachez-le, Messieurs, il n’est pas une puissance sous le soleil qui soit capable d’opérer en moi ce reversement d’idées. Je puis répondre de la pureté de mon coeur, mais je ne puis changer mes pensées ; elles sont ce que la nature des choses me suggère".
(Approbation)
"Dans ce moment, permettez-moi de vous rappeler à d’autres considérations. Voyez vous-mêmes comme vos impressions sont mobiles. Ceux de mes ennemis qui sont parmi vous se sont livrés à mon égard à de véritables accès de fureur, et le plus grand nombre d’entre vous ont supporté ces manifestations intolérantes. J’ai été obligé de rappeler la majorité de cette assemblée au respect qu’elle se doit à elle-même ; et vous avez été sur le point de me juger sous l’influence d’attaques injustifiables, de calomnies atroces".
Quoi ! Si je n’avais pas eu sous la main mon article d’aujourd’hui, si mon journal n’avait pu paraître ce matin, si mon imprimeur m’avait manqué sa parole, - Eh ! Grands dieux ! Un acte de négligence aurait bien pu se produire, - vous m’auriez donc livré au glaive de la tyrannie ! ...
Considérez combien on peut commettre d’injustices, lorsque pour décider sur un homme, on écoute ceux qui sont ses ennemis avérés... Mais, Messieurs, si par suite d’une fatalité quelconque je n’avais pu fournir ici le témoignage éclatant de mon patriotisme, si, égarés par les impudents que je vous ai désignés, vous m’aviez condamné sans m’entendre, oh ! Sachez-le, je n’aurais point péri en lâche...
Oui, oui, je le jure, si le décret qu’on vous demandait eût été lancé, je me serai soustrait à la rage de mes persécuteurs en me brûlant la cervelle au pied même de cette tribune..."
(En disant ces mots, Marat s’applique un pistolet sur le front.
Profonde émotion)
"On vous a demandé un décret contre ceux qui proposeront la dictature, le tribunat ou le triumvirat ; c’est une fausse démarche dans laquelle on voudrait vous engager. Cette ressource de salut public dépend, en dernière analyse, du peuple seul. S’il la juge jamais nécessaire, il la prendra malgré tous les décrets que n’importe quelle assemblée aura pu édicter, comme il a pris des mesures plus terribles encore malgré les décrets de l’Assemblée Constituante ; en votant une loi contre les droits souverains du peuple, vous ne ferez que compromettre sans fruit comme sans besoin votre autorité.
Je conclus donc en vous demandant de passer purement et simplement à l’ordre du jour".
(Nombreux applaudissements)
Tallien : "Oui, l’ordre du jour doit mettre fin à ses scandaleuses discussions. Décrétons le salut de la République, et laissons-là les individus !" (2)
(Applaudissements répétés)
La Convention passe à l’ordre du jour.
Marat et les montagnards sont sauvés. Les girondins n’ont pu aller au terme de leur attaque mais le voulaient-ils vraiment et en avaient-ils les moyens ? Ont-ils pensé que cette mise en garde appuyée serait suffisante pour que la dictature soit évitée ?
En tout état de cause, les débats toujours animés redeviennent sereins. Et c’est au cours de la même séance qui se poursuit selon l’ordre du jour, que la Convention Nationale adopte la disposition célèbre : "la République est une est indivisible".
Pourtant, alors que les membres de la Convention discutent de l’indivisibilité de la République, une ombre passe. La voient-ils ? C’est l’ombre de la guillotine. Le rasoir républicain divise les corps, la tête tombe et le reste est désarticulé. Nombre de ces conventionnels, à défaut de voir son ombre, la découvriront bien réelle, à l’œuvre sur leurs ordres et finalement à l’œuvre sur eux.
(1) Jean-Paul Marat est député de Paris, montagnard, créateur du journal « l’Ami du Peuple », hanté par l’idée d’exécution des traîtres.
(2) Jean, Lambert Tallien est député de Seine et Oise, montagnard.
Sources
"Journal officiel de la Convention Nationale - La Convention Nationale (1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre 1792, Constitution de la grande assemblée révolutionnaire, jusqu'au 21 janvier 1793, exécution du roi Louis XVI, seule édition authentique et inaltérée contenant les portraits des principaux conventionnels et des autres personnages connus de cette sublime époque", auteur non mentionné, Librairie B. Simon & Cie, Paris, sans date, pages 24 à 37.
http://miroir.mrugala.net/Arisitum/textes/revol/rob1.html
http://www.royet.org/nea1789-1794/archives/journal_debats/an/1792/convention_1792_09_25.html
http://jpmarat.de/francais/bougeart/index2.html Marat L'Ami du Peuple par Alfred Bougeart
Léon Thiessé - Les Débats de la Convention, Paris, 1828, - 5 vol.
Assemblée Nationale - http://www.assemblee-nationale.fr/
Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (A.Robert et G.Cougny)
Histoire politique et constitutionnelle de la France Charles Zorgbibe- Editions Ellipses - Juillet 2002.
Articles :
- 10 avril 2013 : La Révolution s’emballe il y a 220 ans.
- 7 novembre 2012 : Le procès de Louis XVI sur Paris Tribune.
- 3 décembre 2012 : Le Procès du Roi, il y a 220 ans.
- 8 décembre 2012 : Louis XVI peu avant le début de son procès.
- 10 décembre 2012 : Rapport Lindet : historique de la conduite du Roi Louis XVI avant son procès.
- Partie 1 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 2 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 3 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 4 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 5 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 6 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 7 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 8 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 9 - dernière partie : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- 10 août 2012 : 220e anniversaire de la chute de la Monarchie.
- 22 septembre 2012 : 220e anniversaire de la naissance de la République.
- 24 septembre 2012 : « La République est une et indivisible » depuis 220 ans
- 11 juin 2011 : Une guillotine à l’Hôtel Drouot.
- 22 juin 2011 : Le Maire de Paris ne connaît pas la rue Thiers.
- 5 octobre 2011 : Qui convoite la place au métro Convention ?
http://miroir.mrugala.net/Arisitum/textes/revol/rob1.html
http://www.royet.org/nea1789-1794/archives/journal_debats/an/1792/convention_1792_09_25.html
http://jpmarat.de/francais/bougeart/index2.html Marat L'Ami du Peuple par Alfred Bougeart
Léon Thiessé - Les Débats de la Convention, Paris, 1828, - 5 vol.
Assemblée Nationale - http://www.assemblee-nationale.fr/
Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (A.Robert et G.Cougny)
Histoire politique et constitutionnelle de la France Charles Zorgbibe- Editions Ellipses - Juillet 2002.
Articles :
- 10 avril 2013 : La Révolution s’emballe il y a 220 ans.
- 7 novembre 2012 : Le procès de Louis XVI sur Paris Tribune.
- 3 décembre 2012 : Le Procès du Roi, il y a 220 ans.
- 8 décembre 2012 : Louis XVI peu avant le début de son procès.
- 10 décembre 2012 : Rapport Lindet : historique de la conduite du Roi Louis XVI avant son procès.
- Partie 1 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 2 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 3 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 4 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 5 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 6 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 7 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 8 : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- Partie 9 - dernière partie : La Terreur sous la Révolution aurait-elle pu être évitée il y a 220 ans ?
- 10 août 2012 : 220e anniversaire de la chute de la Monarchie.
- 22 septembre 2012 : 220e anniversaire de la naissance de la République.
- 24 septembre 2012 : « La République est une et indivisible » depuis 220 ans
- 11 juin 2011 : Une guillotine à l’Hôtel Drouot.
- 22 juin 2011 : Le Maire de Paris ne connaît pas la rue Thiers.
- 5 octobre 2011 : Qui convoite la place au métro Convention ?