Poisson d'avril : Le Grand Paris ne ressuscite pas l'Arpajonnais !

La blague du 1er avril : non, l’illustre voie abandonnée en 1936 ne reprend pas le service.


L'information donnée dans l'article du 1er avril paraissait-elle plausible ? Pour les nostalgiques du passé, oui. Pour la jeune génération, non.


3 Avril 2011 15:51

L’Arpajonnais appartient-il au futur ? La réponse est non. Le tramway qui reliait Arpajon à Paris, appartient au passé, victime, avec le réseau de tramways parisiens progressivement supprimé entre 1930 et 1937, d'un nouveau moyen de transport : l'automobile. Dans le livre "Il était une fois l'Arpajonnais" aux éditions Amattéis, livre qui a servi à la rédaction de l'article du 1er avril de Paris Tribune, Jacques Peyrafitte raconte.
 

Le Paris - Arpajon devant les grilles du jardin du Luxembourg. Photo : Génie civil.
18 ans sont nécessaires avant que les premières salades puissent être déposées dans un wagon de l'Arpajonnais à destination du Ventre de Paris. C'est sous la pression, de 1876 à 1894, des communes du sud de Paris, préoccupées d'acheminer les fruits et légumes vers Paris, un énorme débouché pour les maraîchers, que la ligne du tramway Arpajon - Paris voit le jour en 1894.
Un problème de taille se pose : la rénovation des Halles centrales, de 1854 à 1866, n'a pas prévu de raccordement à un réseau de chemins de fer.

La situation au XIXème siècle ressemble à celle du XXIème siècle. Une bataille oppose le gouvernement et la municipalité de Paris. Pour desservir les Halles, l'Etat souhaite un chemin de fer métropolitain. La municipalité de Paris privilégie un chemin de fer à gabarit réduit, impliquant l'exclusion des wagons et des voitures conçus pour les grandes lignes. Des travaux sont parfois commencés, jamais terminés : une ligne souterraine reliée aux chemins de fer de petite ceinture, des égouts aménagés en vue du passage d'éventuelles voies ferrées, ...

Un projet, rédigé en 1889 par Amédée Sébillot, préconise de "mettre les Halles en relation avec les voies des grandes lignes pour permettre aux marchandises et aux voyageurs de traverser Paris sans discontinuer", grâce à des travaux exécutés "en profondeur". L'Etat propriétaire du sous-sol, explique-t-il, pourrait autoriser ces aménagements ; les autorités municipales conserveraient le contrôle des lignes établies à proximité de la surface du sol. Le projet de la ville l'emporte : les Halles ne seront pas approvisionnées par les trains du réseau national. Un compromis est nécessaire. Son fruit : la création d'un chemin de fer sur route reliant Arpajon aux Halles de Paris.

Le Paris - Arpajon traversant la place Denfert - Rochereau. Photo : Génie civil.
Un comité de parrainage se constitue, composé de notables. Un texte sort en février 1886 définissant le but de la construction de la ligne Paris - Arpajon, son tracé, une étude du trafic et une estimation des bénéfices attendus : "Le chemin de fer sur route tenant le milieu entre les chemins de fer ordinaires et les omnibus sur rails, le chemin de fer participe aux avantages des deux systèmes ; il emprunte à l'un la vitesse et la puissance et il peut comme les autres, pénétrer jusqu'au centre des villes et conduire sans transbordement, marchandises et voyageurs presqu'à domicile."

La "Société d'Etude du Chemin de Fer sur Route de Paris à Arpajon" est créée en janvier 1886. Des enquêtes publiques sont ouvertes dans les départements de Seine et de Seine-et-Oise. L'avis des administrations et des ministères est demandé. Une convention est passée avec la CGO (Compagnie Générale des Omnibus) réticente à laisser le Paris - Arpajon pénétrer dans Paris en utilisant les voies publiques qui lui sont attribuées. Les études faites, la "Compagnie du Chemin de Fer sur route de Paris à Arpajon" est créée avec un capital de 2.000.000 Francs.

L'Arpajonnais, ouvert entre le 27 avril 1893 (la section porte d'Orléans - Antony) et le 1er mai 1894 (la section Montlhéry - Arpajon), est inauguré officiellement le 10 mai 1894. Longue de 37 km, dont 5 km à Paris, la construction coûte 3.281.000 Francs. La ligne longe la route d'Orléans et suit la topographie des terrains par souci d'économie. Les travaux de terrassements ayant été limités, les routes sont à pentes fortes : l'altitude des rails varie entre 98,45 mètres d'altitude (altitude maximale du tracé, peu après La Grange aux Cercles) et 44,22 mètres d'altitude à Longjumeau (altitude minimale du tracé). Les locomotives, à vapeur puis électriques dès 1901, rencontrent beaucoup de difficultés.

Leuville-sur-Orge : les produits maraîchers sont en attente d'être chargés en direction des Halles. Photo : Col. Regnier.
L'Arpajonnais est un succès. Il répond aux préoccupations du moment rendues possible grâce à la technologie : acheminer à plus de 4 km/h (la vitesse moyenne par traction animale encore largement utilisée à la fin du XIXème) les voyageurs, les marchandises et le courrier. Véritable progrès, il est vite critiqué pour sa lenteur : 1h40 au minimum pour effectuer la totalité du trajet, à 16 km/h dans la traversée des agglomérations, à 25 km/h sur les accotements et à 40 km/h sur les parcours en site propre.

Les usagers protestent : les retards s'accumulent du fait du temps passé à charger et décharger les marchandises et des accidents nombreux. Les municipalités réclament l'amélioration de la qualité du service et l'augmentation de la vitesse des trains. L'exploitant fait la sourde oreille. Des comités d'usagers se forment, vite intimidés par les forces de l'ordre. Jacques Peyrafitte écrit : "les autorités responsables avancent comme argument, pour justifier cette intervention, "les habitants des lotissements ont mauvais esprit" et surrenchérissent "ce sont les communistes qui sont les organisateurs de la manifestation."

Côté pile, de 1984 à 1936, le service des Halles de l'Arpajonnais assure chaque nuit au moins 1 train maraîcher en provenance d'Arpajon et de Marcoussis : légumes verts, cresson, pommes de terre, tomates, potirons, fraises, fleurs et de la viande. Avec un retour des emballages vides aux agriculteurs. Côté face, le passage des convois est bruyant et malodorant du fait du transport de fumier et de boues non bâchés. Les parisiens sont excédés : la nuit durant, dans un vacarme assourdissant, les trains déchargent leurs cargaisons de petites baies rouges et de fraises délicates.

L'Arpajonnais avec ses voitures de voyageurs à impériale à la Porte d'Orléans dans les années 1920. Photo : RATP.
En 1934, la circulation des trains dans le périmètre des Halles est interdite. L'augmentation du nombre d'automobiles à Paris menace le tramway. Les parisiens, via leurs élus, trouvent instantanément des qualités aux wagons du Paris - Arpajon et demandent son maintien, comme en témoigne une délibération du conseil municipal d'août 1934 :

"Considérant que le transport des marchandises et notamment des fruits et légumes, est assuré avec la voie et le matériel actuel, dans des conditions qui donnent satisfaction aux usagers ;

Considérant qu'une augmentation des tarifs serait à craindre, avec l'exploitation par camions plus onéreuse que le transport par rail,

Considérant qu'il est douteux que le maintien des avantages qu'offre le tramway d'arriver en bon état à un emplacement favorable pour la vente des fruits et des légumes sur le carreau des Halles, continue d'être assuré avec l'emploi des camions ;

Considérant que les trains du P.A arrivent aux Halles et sont déchargés avant l'afflux des marchandises sans entraver la circulation ;


Considérant que bien que le tonnage à transporter varie dans de très grandes limites, selon différentes raisons et particulièrement la température, le matériel roulant actuellement en service s'est toujours montré suffisant alors qu'avec les camions, ceux-ci devant faire deux tours risqueront d'arriver en retard et d'être déchargés dans des endroits peu propices ;

Considérant que la ligne sert de débouché vers les Halles au Chemin de Fer de Grande Banlieue qui dessert la région d'Etampes ;

Demande le maintien du chemin de fer sur route de Paris à Arpajon dans le département de la Seine-et-Oise, comme dans celui de la Seine pour assurer dans de bonnes conditions le transport aux Halles, des fruits et des légumes produits dans la région desservie par la ligne".

 

Carte de la ligne Paris - Arpajon extraite du Guide rose de 1899. Photo : Col. Renaissance & Culture.
L'Arpajonnais cesse de livrer les marchandises en 1936, remplacé par des camions.

Dès 1894, les cultivateurs critiquaient le mode de fonctionnement et "la perte de temps" des moyens de chargement et de déchargement risquant d'empêcher le développement du transport des marchandises par wagons ; l'entretien des plateformes laissait à désirer ; les gares n'étaient pas éclairées ; l'Arpajonnais ne mettant pas assez de wagons en circulation, les cultivateurs étaient obligés de partir à Paris avec leurs voitures.
 
Les usagers craignaient
de ne plus pouvoir faire du tourisme en Seine-et-Oise, d'aller à la campagne le dimanche, voire même de s'installer près de la voie où apparaissaient comme des champignons de multiples habitations ; les horaires du Paris - Arpajon ne prenaient pas en compte les horaires des établissements scolaires qui ouvraient le long de la voie ; rien n'était fait pour mettre fin au manque de confort et d'hygiène des wagons de voyageurs ; les nuisances sonores et olfactives étaient de plus en plus mal supportées, ...
Le plus grand défaut de l'Arpajonnais reste le nombre important d'accidents, avec des blessés et des morts, car il ne circulait pas en site propre distinct des voies de communication.

Le 25 janvier 1937, le Paris - Arpajon n'existe plus. Son service est assuré par des autobus. Sa seule trace visible à Paris : une céramique murale dans un bistrot des Halles, voué à la destruction.
 

Les Poissons d'avril de Paris Tribune




Journaliste tahitienne. Formations universitaires modestes, en droit, en sciences sociales… En savoir plus sur cet auteur
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