Procès en réhabilitation de Charles Baudelaire : l'arrêt de la Cour de Cassation

La loi du 29 juillet 1881 fonde la liberté de la presse.


29 juillet, date anniversaire de la Liberté de la Presse avec les archives du procès en réhabilitation de Charles Baudelaire : c’est la liberté de créer, d'écrire et de publier.


29 Juillet 2012 19:14

En 1857, Charles Baudelaire et ses éditeurs sont poursuivis et condamnés par le tribunal correctionnel de la Seine. La poésie est asservie.
En 1949, sous l’impulsion de la Société des Gens de Lettres, un procès devant la Cour de Cassation réhabilite Charles Baudelaire et ses éditeurs. C’est la protection effective de la liberté de créer, d’écrire et de publier.

Paris Tribune vous révèle les détails de la réhabilitation post mortem de Charles Baudelaire :
- Archives du procès en réhabilitation de Charles Baudelaire : le rapport du Conseiller à la Cour de Cassation.
- Révision du procès Baudelaire : les réquisitions du Procureur.
- 29 juillet date anniversaire de la Liberté de la Presse : Sapho mise aux enchères, citée dans le poème "Lesbos" de Charles Baudelaire.
- Paris Tribune fête le 29 juillet, date anniversaire de la Liberté de la Presse.

L’arrêt du 31 mai 1949

COUR DE CASSATION
Chambre Criminelle
saisie par le Procureur Général de la Cour de Cassation sur ordre du Ministre de la Justice à la requête du Président de la Société des Gens de Lettres d’une demande de révision du jugement du Tribunal correctionnel de la Seine du 20 août 1857 qui a condamné Charles Baudelaire à 300 fr d’amende et Poulet Malassis et de Broise à 100 fr d’amende chacun pour délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs en raison de la publication des « Fleurs du Mal », jugement rapporté par la Gazette des Tribunaux du 21 août 1857.


L’arrêt du 31 mai 1949 :

La Cour de Cassation :

Vu l’article unique de la loi du 25 septembre 1946,

Sur la recevabilité :
Attendu que la Cour est saisie par son procureur général, en vertu d’un ordre exprès du ministre de la Justice, agissant à la requête du président de la Société des Gens de Lettres ; que la demande en révision rentre dans les cas prévus par la loi du 25 septembre 1946 susvisée ; qu’elle a été introduite après la période de 20 années et dans les conditions fixées par ladite loi ; qu’enfin, la décision dont la révision est sollicitée, a acquis l’autorité de la chose jugée ; - Déclare la demande recevable ;

La sépulture de Charles Baudelaire, de sa mère et de son beau-père, se trouve au cimetière de Montparnasse dans le 14e arrondissement.
Sur l’état de la procédure :
Attendu que les pièces produites sont suffisantes pour permettre à la Cour de cassation de statuer ; que, dès lors, il n’y a lieu d’ordonner ni enquête nouvelle, ni apport de pièces supplémentaires ;

Au fond :
Attendu que Charles Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise ont été traduits devant le Tribunal correctionnel de la Seine, comme prévenus d’avoir commis les délits d’offense à la morale publique et aux bonnes mœurs, et d’offense à la morale religieuse, prévus et punis par les art. 1er et 8 de la loi du 17 mai 1819, Baudelaire, en publiant, Poulet-Malassis et de Broise, en publiant, vendant et mettant en vente l’ouvrage intitulé Les Fleurs du Mal ; que par jugement du 20 août 1857, le Tribunal a dit non établie la prévention d’offense à la morale religieuse et a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite de ce chef, mais les a déclarés coupables d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, les a condamnés : Baudelaire à 300 fr. d’amende, Poulet-Malassis et de Broise à 100 fr. de la même peine, et a ordonné la suppression des pièces portant les numéros 20, 30, 39, 80; 81, 87 du recueil ; que, pour justifier cette condamnation, le jugement énonce que l’erreur du poète dans le but qu’il voulait atteindre et dans la route qu’il a suivie, quelqu’effort de style qu’il ait pu faire, quel que soit le blâme qui précède ou suit ses peintures, ne saurait détruire l’effet funeste des tableaux qu’il présente aux lecteurs et qui, dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier offensant pour la pudeur.

Attendu qu’aux termes de la loi du 25 septembre 1946, la Cour de cassation, saisie de la demande en révision, statue sur le fond, comme juridiction de jugement, investie d’un pouvoir souverain d’appréciation ;

Attendu que le délit d’outrage aux bonnes mœurs se compose de trois éléments nécessaires : le fait de la publication, l’obscénité du livre et l’intention qui a dirigé son auteur ;
Attendu que le fait de la publication n’est pas contestable ;

Mais, en ce qui touche le second élément de l’infraction :
Attendu que les poèmes faisant l’objet de la prévention ne renferment aucun terme obscène ou même grossier et ne dépassent pas, en leur forme expressive, les libertés permises à l’artiste ; que si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des « Fleurs du Mal » et apparaître aux permiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettres ;

Attendu, en ce qui concerne le 3ème élément, que le jugement dont la révision est demandée a reconnu les efforts faits par le poète pour atténuer l’effet de ses descriptions ; que les poèmes incriminés, que n’entache, ainsi qu’il a été dit ci-dessus aucune expression obscène, sont manifestement d’inspiration probe ;

Attendu, dès lors, que le délit d’outrage aux bonnes mœurs relevé à la charge de l’auteur et des éditeurs des Fleurs du Mal n’est pas caractérisé ; qu’il échet de décharger la mémoire de Charles Baudelaire, de Poulet-Malassis et de de Broise, de la condamnation prononcée contre eux ;

Par ces motifs,
Casse et annule le jugement rendu le 20 août 1857 par la 6ème Chambre du Tribunal correctionnel de la Seine, en ce qu’il a condamné Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ;
Décharge leur mémoire de la condamnation prononcée ;
Ordonne que le présent arrêt sera affiché et publié conformément à la loi ;
Ordonne, en outre, son impression et sa transcription sur les registres du greffe du Tribunal correctionnel de la Seine.

Sources : Gaz Pal 1949 - II pages 121 et suivantes et http://ledroitcriminel.free.fr
Charles Baudelaire (1821 - 1867) par Etienne Carjat (1828 - 1906).

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Journaliste, coordinateur des articles sur l'histoire, culture et politique, ventes aux enchères. En savoir plus sur cet auteur
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