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Europe : un traité, pour quoi faire ?

Union européenne


Pourquoi l'Europe n'avance pas vite.


par Jean-François Durantin, Chercheur
21 Octobre 2007 - 18:40
     

L’accord conclu aux petites heures du 19 octobre 2007 constitue un modeste compromis. Il est vrai que, depuis Jean Monnet et Robert Schuman, l’Europe avance à petits pas. Avec ce futur traité de Lisbonne qui sera signé le 13 décembre prochain, l’Europe aura les moyens de fonctionner grâce à des institutions mieux adaptées, la fin du droit de veto ne prenant toutefois effet qu’en 2017. Mais, les Européens qui veulent mieux vivre vont-ils s’éprendre du « vote à la majorité qualifiée » ?
On distinguera les changements apportés au traité constitutionnel, les difficultés de la ratification, les objectifs du traité.

Les changements d’un traité à l’autre sont de quatre ordres : la forme, les modifications, les éléments conservés, les reculs.

La forme nouvelle du traité consacre la fin du constitutionnalisme européen qui incluait les politiques communes (monétaire, agricole, concurrence, aides aux régions). Dorénavant, les politiques communes pourront être changées aussi facilement que par le passé. Quant aux 27 États de l’Union, ils ont amendé les traités antérieurs en reprenant les modifications institutionnelles du traité mort-né en 2005.

L’emblème de la campagne du non en France, « la concurrence libre et non faussée », initiée en 2004 par Mario Monti, est supprimé des objectifs de l’Union, même s’il est repris dans un protocole annexé au traité.
A la demande des Pays-Bas, la protection et le mode de financement des services publics sont réaffirmés, bien qu’ils figurent en annexe.

Les éléments conservés sont plus nombreux, mais leur application est repoussée dans le temps. En réalité, la substance du Traité (Partie I) est sauvegardée, dans la mesure où la réforme institutionnelle de 2004 est préservée.
-A partir de janvier 2009, le Président du Conseil Européen sera élu pour 2,5 ans. Quant au vote à la majorité qualifiée, il verra son extension à 41 domaines, alors que le contrôle du Parlement Européen sera étendu à autant de questions.
-A compter de 2014, la taille de la Commission sera réduite, réaffirmant par là son caractère supranational. A la suite des revendications polonaises, la majorité qualifiée au sein du Conseil ne sera plus facile à réunir qu’à partir d’avril 2017 (55% des États représentant 65% de la population) ; ultérieurement, on pourra recourir au compromis de Ioannina : il s’agit de la substitution à la majorité qualifiée d’une minorité de blocage par 4 États ; alors on pourra geler une décision pendant « un délai raisonnable ».
Selon Nicolas Sarkozy, ces mesures correspondent au « consensus de toutes les forces politiques ». Ce jugement est bien optimiste à l’endroit des forces politiques des États demeurés eurosceptiques.

Les reculs concernent le poste de Ministre des Affaires Étrangères, la Charte des droits fondamentaux, les autres clauses d’opting out du Royaume Uni.
A la demande de celui-ci, on remplace le Ministre des Affaires Extérieures par un Haut Représentant chargé de la Politique Étrangère et de la Sécurité : ainsi l’attribut d’un super État européen est-il supprimé.
Quant à la Charte des droits fondamentaux, elle reste un texte en dehors du traité dont les dispositions ne s’appliquent ni au Royaume Uni, ni à la Pologne.
Le Royaume Uni bénéficie de nombreuses clauses d’opting out, notamment en matière d’immigration ainsi que de coopération policière et judiciaire ; celles-ci consacrent une intégration différenciée plus approfondie.
En conséquence, si la substance institutionnelle est conservée, les exceptions inscrites dans le traité donnent naissance à un système très diversifié au point qu’il faudra probablement revoir un jour l’ensemble des traités qui lient les 27.

Les difficultés de la ratification n’ont pas été évoquées à Lisbonne et pourtant elles sont considérables.
Tout d’abord, le processus de ratification s’étendra sur moins de 13 mois au lieu des 18 mois habituels.
Ensuite, s’il est vrai que seule l’Irlande est juridiquement astreinte à un référendum, la voie parlementaire est emplie d’embûches.
En France, tout d’abord, la majorité des 3/5 des suffrages exprimés du Congrès est loin d’être atteinte et il faudra au Président Sarkozy des trésors d’habileté pour obtenir le vote positif d’une quarantaine de parlementaires socialistes, à moins que tous ne s’obstiennent.
D’autre part, on ne sait pas si Gordon Brown, au Royaume Uni, ne sera pas contraint de procéder à un référendum tant est puissante la force des tabloïds.
Quant à l’euroscepticisme des classes politiques tchèque et polonaise, on ne peut pas dire que la voie parlementaire soit la voie royale.
Il peut également arriver que la conjonction des débats dans les journaux et dans chaque Parlement aboutisse à constituer un exutoire pour régler des problèmes de politique intérieure, voire des différends entre les élus du peuple et le pouvoir gouvernemental.

De la sorte, la ratification par l’ensemble des États de l’Union Européenne est plus que périlleuse : on peut envisager un vote négatif du Royaume Uni et également le refus de ratifier de 2 à 3 petits États.
Or, si gouverner c’est prévoir, la présidence portugaise a omis d’envisager le pire. En effet, une clause d’approbation du traité par seulement 4/5 des États qui vaudrait ratification globale, à la suite d’une réunion du Conseil Européen qui serait amené à la concrétiser, n’a pas été prise en amont. Il s’agit là d’une grande imprévoyance.

Si l’on considère les objectifs initiaux du traité, définis dans la déclaration de Laëken, le 15 décembre 2001, on doit s’interroger sur l’utilité du Traité de Lisbonne, alors même que le traité de Nice de décembre 2000, -qui régit les conditions actuelles de la majorité au Conseil des Ministres,-n’a pas donné de résultats satisfaisants.

On conviendra que le traité qui vient d’être adopté à Lisbonne sort l’Union de l‘impasse institutionnelle qui existait depuis 7 ans.
Mais le véritable projet de l’Union, proposé également en 2000, « l’agenda de Lisbonne », qui souhaitait faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique d’ici 2010 », demeure encore dans les limbes.
Quand l’Allemagne renonce aux réformes et que la France s’engage de façon chaotique sur la voie des réformes structurelles, on peut se demander comment faire pour renforcer l’innovation et la compétitivité dans l’Union tout entière.
Dès lors que les 13 États qui ont adopté l’€uro se montrent incapables de coordonner leurs politiques budgétaire et fiscale, que reste-t-il à faire ?
Tandis que les Allemands persistent dans la voie d’une Europe ultra-libérale et mondialisée, alors, que la France souhaite une protection des citoyens à l’extérieur et veut favoriser ses champions nationaux industriels à l’intérieur, le Président de la Commission ne peut rester inerte et doit indiquer la voie à suivre.

La France et l’Allemagne ne constituant plus les élèves modèles de l’Union, il convient que la Commission mette chacun devant ses responsabilités et se dote d’une imagination créatrice pour relancer la dynamique européenne.
Ainsi, la relance institutionnelle de l’Union Européenne constitue-t-elle une condition préalable nécessaire mais insuffisante du redressement économique des 27.
Pour rapprocher l’Europe des citoyens, il faut que chaque État respecte les normes imposées par Bruxelles et que la Commission définisse les grands objectifs d’une Europe qui libérerait des forces nouvelles pour la création, la compétitivité, la capacité d’innovation.




Mots-clés de l'article : allemagne, europe, france, monde, traité européen



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